À qui appartient le vent ?

 

À qui appartient le vent ?

Bouchard, Alain Le Soleil, Actualités, lundi 6 novembre 2006, p. 7

L'énergie éolienne a le vent dans les voiles, c'est le cas de le dire. Le débat péquiste sur sa nationalisation possible fait tout à coup du vent un sujet chaud. Au-delà des considérations économiques, une question se profile: à qui appartient le vent ? Nous avons sondé quelques spécialistes sur la question.

Le vent appartient à tous, estiment différents penseurs québécois interrogés par Le Soleil. Bien qu'en tirer un profit personnel n'en prive pas son voisin.

"Le vent, tout comme la rivière, soutient Florent Joerin, de l'Université Laval, est ou devrait être un bien public pour lequel le pays où s'écoule cette rivière ou souffle ce vent possède des droits et des responsabilités. Notamment comme l'exploitation et la protection de la ressource." M. Joerin est spécialisé en aménagement du territoire.

Vouloir "nationaliser le vent serait stupide ! lance son collègue géographe Yves Bégin, de la même institution. Mais ce qu'on fait du vent est une tout autre chose. Mettre de l'énergie sur un fil, c'est du domaine public".

Le vent, comme l'air, fait partie du patrimoine commun de l'humanité, fait valoir Daniel Clapin-Pépin, professeur de gestion environnementale à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). "C'est pourquoi, dit-il, ceux qui envoient leurs déchets dans l'air comme l'Alberta bitumineuse de M. (Stephen) Harper et de Mme (Rona) Ambrose devraient être sévèrement punis."

M. Clapin-Pépin se définit comme un "vert parmi les capitalistes sauvages", du fait qu'il enseigne au département des sciences comptables.

"Ce qui intéresse les affaires, c'est la croissance durable, soutient-il. Alors que le bien public a plutôt besoin de développement durable."

Impossible à gérer ?

Louise Filion, chercheuse au Centre d'études nordiques de l'Université Laval, considère qu'il faut traiter le vent comme l'eau, la forêt et les minéraux, c'est-à-dire une composante physique ou biologique qui devient une ressource lorsqu'elle est exploitée par l'homme.

"Les ressources, dit cette spécialiste de la biogéographie, appartiennent aux populations qui occupent le territoire sur lequel elles circulent : eau, vent, faune. Ou sur lequel elles se trouvent : minéraux, forêts, champs cultivables." Et sans égard au fait que leur source soit lointaine ou immédiate, insiste-t-elle. Il arrive que cette source puisse être très loin en amont, comme pour l'eau et le vent.

Attention, attention ! réagit pour sa part la géographe Pascale Biron, de l'Université Concordia, à Montréal. "Le vent est une ressource impossible à gérer, tout comme la pluie. Quand quelqu'un utilise le vent, il ne l'enlève à personne. Donc, le vent n'appartient à personne.

"Le vrai problème, poursuit Mme Biron, c'est la captation de la ressource ; et, dans le cas du vent, l'occupation du territoire par les éoliennes. On ne peut pas être contre tout, ne jamais rien vouloir dans sa cour. Mais le fait est qu'en Gaspésie, par exemple, les parcs d'éoliennes peuvent nuire à l'industrie touristique."

Peut-être qu'une partie de la solution à ce problème, dit Yves Bégin, réside dans les bénéfices que les populations locales pourraient tirer des éoliennes. Il donne l'exemple du cultivateur texan qui pompe l'eau de sa ferme avec une petite éolienne plantée au bout d'un champ.

"L'un des travers québécois, avec l'éolien, enchaîne M. Bégin, est peut-être de voir trop grand. Pourquoi d'immenses parcs d'éoliennes en région ? Nous pourrions installer plusieurs petites unités, comme en Europe. Et elles pourraient être communautaires."

L'air taxé

Hydro-Québec pourrait s'occuper de l'énergie éolienne, croit Daniel Clapin-Pépin. Mais ce pourrait être aussi les municipalités. Ou des coopératives. À la limite, ajoute-t-il, même le privé peut protéger le capital vert, s'il y voit son intérêt.

Le géographe Yves Bégin rappelle que ce débat québécois sur la nationalisation de l'éolien n'aurait jamais eu lieu s'il n'y avait d'abord pas eu nationalisation de l'électricité.

"Mais ce qui me chagrine un peu dans tout cela, dit-il, c'est qu'en principe, tout le monde a accès au vent et au soleil. Comme tout le monde a supposément accès aux cours d'eau. Alors qu'il faut payer pour avoir accès au lac Saint-Charles, par exemple."

L'anthropologue Bernard Arcand, tout nouveau retraité de l'Université Laval, se dit interpellé par cette volonté moderne de vouloir s'approprier l'inappropriable.

"Cette idée de tout vouloir posséder est typique de notre monde, dit-il. Rappelez-vous cette boutade pas si lointaine selon laquelle quelqu'un trouverait bien un jour le moyen de taxer l'air qu'on respire. N'est-ce pas qu'elle contenait un fond de vérité ?"

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