L’auteur est économiste à la Chaire d’études socio-économiques de l’UQÀM

En mai dernier, Hydro-Québec dévoilait le nom des entreprises ayant remporté le nouvel appel d’offres de 2000

mégawatts (MW) d’énergie éolienne. La filière éolienne continue d’être développée par l’entreprise privée parce que le gouvernement Charest exige qu’Hydro-Québec ne concoure pas aux appels d’offres. La raison est simple : avec ses leviers financiers et sa cote de crédit imbattables, notre société d’État est la mieux positionnée pour développer cette filière au meilleur coût. Sa présence aurait découragé les entreprises privées à y participer, selon la stratégie énergétique du gouvernement.
Photo Mathieu Roy/AC-Presse

La privatisation

Par ce non-sens, la production d’électricité passe du secteur public au privé avec le développement de la filière éolienne. Privatisation pour le moins paradoxale puisque l’entreprise publique française, EDF (Électricité de France), a participé à l’appel d’offres et en a raflé près de la moitié!
Au Québec, la façon dont la filière est développée interpelle trois niveaux d’acteurs. Les entreprises ayant été retenues achètent les éoliennes clé-en-main à un fabricant et les font installer sur les sites qu’elles ont choisis. Par la suite, ces exploitants vendent l’électricité produite à Hydro-Québec. Il est à noter que dans la plupart des cas l’entretien est assuré par le fabricant et que de maigres redevances sont versées aux municipalités et aux propriétaires des sites par les exploitants.

Huit exploitants ont été choisis. Sept d’entre eux achètent leurs éoliennes au fabricant géant allemand Enercon et le huitième, EDF, fait appel à l’autre géant allemand REpower. Les soumissions qui faisaient appel au fabricant québécois AAER ont été écartées. Un petit fabricant local pouvait difficilement concurrencer de géantes multinationales dans une industrie de plus en plus concentrée présentant d’importantes économies d’échelle.

Le partage des consortiums

Les huit exploitants retenus sont plutôt hétéroclites. La plupart sont des consortiums d’entreprises de moyenne envergure œuvrant dans le secteur de l’énergie, des mini-barrages au gaz naturel. Trois sont québécois : Boralex – Gaz Métro (qui a remporté 13 % de l’appel d’offres), Kruger Énergie (8 %), et 3Ci (8 %). Les autres sont plutôt variés : Venterre (britannique et canadienne-anglaise; 6 %), Inverergy (américaine; 7 %), Enerfin (espagnole; 5 %), Vents du Kempt (québécoise, américaine et suisse; 5 %), et St-Laurent Énergies (française, québécoise et américaine; 48 %).
La part du lion revient à St-Laurent Énergies. Ce consortium est détenu à 60% par EDF Énergies Nouvelles, elle-même détenue à 50 % par EDF. L’autre 40 % est partagé moitié-moitié entre l’américaine Renewable Energy System et Hydroméga, la québécoise spécialiste des mini-barrages.

Fait à noter, aucune coopérative, projet communautaire ou autochtone n’a été retenu. Développer l’éolien à bon prix requiert une bonne cote de crédit et un pouvoir de négociation auprès des fabricants d’éoliennes. Bref, il faut être gros. Ceci ne constitue pas une surprise pour le gouvernement et, pour éviter la grogne de ces perdants, il leur avait déjà réservé un autre appel d’offres de 500 MW où les gros ne pourront y participer à moins d’être liés à une municipalité ou à une communauté autochtone.

Les résultats de cet appel d’offres renforcent l’idée selon laquelle notre entreprise publique serait en excellente position pour développer la filière. Les petits joueurs ont été exclus et c’est une autre entreprise publique qui se retrouve la principale gagnante. Pas surprenant qu’ailleurs dans le monde ces entreprises de services publics détiennent de plus en plus de parcs éoliens. Par exemple, aux États-Unis, la Florida Power & Light est la principale exploitante de parcs éoliens avec une puissance totale de 5500 MW sur un total de 11 600 MW. Fait surprenant, aucun de ses parcs ne se trouve en Floride.

À quel prix?

Notre filière éolienne pourrait être mieux développée et coûter moins cher. Aborder la question du prix n’est pas simple parce qu’Hydro-Québec brouille les cartes en publiant des chiffres difficilement compréhensibles et peu comparables. Pour le dernier appel d’offre, la société d’État affirme qu’elle paiera 8,7 ¢/kWh aux exploitants. Cette information est incomplète puisque ce tarif est augmenté de 2 % à chaque année. Le prix moyen payé est plutôt 10,6 ¢/kWh sur la durée des contrats. À cela, Hydro ajoute le coût des nouvelles lignes de transport et ses frais d’équilibrage. Nous ne les comptons pas parce que la société d’État ne les inclus pas dans les autres projets (hydraulique, gaz ou nucléaire).

C’est donc ce 10,6 ¢/kWh qu’il faut comparer au 9,2 ¢/kWh annoncé de La Romaine ou au 5 ¢ de Toulnustuc déjà en fonction. À ce prix, l’éolien est quand même comparable aux nouveaux développements possibles des grands barrages et du gaz naturel. De plus, l’éolien présente l’avantage d’avoir un faible impact environnemental, mais aussi le désavantage aux yeux d’Hydro d’être relativement récent, sa fiabilité demeurant incertaine sur une longue période.

10,6 ¢/kWh est un prix nettement plus élevé que les coûts de production normaux de l’industrie éolienne. Par exemple, l’OCDE avance un coût pour l’exploitant, avant profits, oscillant entre 3 et 6 ¢/kWh en 2005. La variation dépend de la qualité des vents et le Québec a les meilleurs vents au monde pour la filière éolienne. À cause de la très forte demande actuelle d’éoliennes et de l’augmentation du prix de l’acier, ces coûts ont augmenté. La Florida Power & Light affirme que ses coûts varient entre 4,5 et 7,5 ¢ US, l’oscillation dépendant encore principalement de la qualité des vents. Bien développé, le coût de l’éolien au Québec devrait donc osciller entre 3 et 5 ¢/kWh, avant profits.

Le prix que paie Hydro est plus du double. C’est qu’il faut ajouter les bénéfices des exploitants, en plus de tenir compte de leur moindre capacité de financement, ce qui accroît leurs coûts. C’est aussi que ces exploitants se sont retrouvés en position de faiblesse face aux fabricants pour négocier les prix. Bref, l’appel d’offre a été mal construit.

Les retombées...

Il aurait été préférable de tenir un appel d’offres pour la fabrication des éoliennes, qui aurait soulevé la concurrence entre les fabricants plutôt qu’entre les exploitants, faisant diminuer le coût de ces machines et augmentant les retombées économiques au Québec.

L’appel d’offre exige que 60 % des coûts du projet soient déboursés au Québec. Ceci peut sembler intéressant, mais constitue dans les faits un recul. Il ne faut pas oublier que 90 % des dépenses d’Hydro sont effectuées au Québec. Avec l’ampleur de l’appel d’offres annoncé, il aurait été possible d’attirer un fabricant en sol québécois, ce qui aurait grandement augmenté les retombées économiques. Par exemple, sans aucune sollicitation, la multinationale allemande Siemens avait déjà proposé au gouvernement de s’implanter ici en échange de la fabrication des 2000 MW. Elle avait alors proposé que les parcs soient exploités par Hydro-Québec. La danoise Vestas avait fait de même lors de l’appel d’offres précédent. Ces propositions ont été rejetées par le gouvernement.

Ces piètres décisions ne s’expliquent pas uniquement par l’idéologie de l’équipe de Jean Charest, mais aussi par une raison fort pragmatique. Le gouvernement est prêt à sacrifier les rendements d’Hydro en échange d’un rendement maximal à court terme afin d’augmenter son budget. Il limite ainsi les investissements de notre société d’État en recourant au secteur privé. En faisant cela, il est en train de tuer notre poule aux œufs d’or.

 

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